Par Manon Sta
Devenir parent, c’est un basculement inouï dans une vie. Être maman ou papa est une chance, une joie, un émerveillement… mais aussi le début d’un quotidien éreintant.
Et c’est un engagement qui s’établit sur plusieurs années, jalonnées de biberons, de bains, de repas et, ensuite, d’apprentissages, de devoirs, de moments de crise…
Au cœur de ce tourbillon, comment trouver un moment pour soi, pour prendre soin de sa santé physique et mentale ? La réponse semble, de plus en plus souvent, se trouver dans la facilité qu’offre le numérique. Mais quel est le danger des écrans pour les enfants ?
Si la plupart d’entre nous ont vécu la transition informatique des années 2000 et si nous avons apprivoisé cette palette d’outils numériques, la jeune génération, elle, est née avec un clavier entre les doigts. Ordinateurs, tablettes et autres smartphones sont des objets familiers et séduisants de son environnement.
Mais quelles sont les limites à poser ? Comment éviter qu’un quart d’heure devant un dessin animé se transforme en cyberaddiction, quelques années plus tard ?
Le rapport des parents aux écrans : un modèle pour les enfants
La pandémie actuelle a placé le télétravail au cœur de la pratique professionnelle de nombreux adultes. Dès lors, comment expliquer aux enfants que leurs parents ont le droit de rester pendant 8 à 10 heures derrière leur écran, mais qu’eux ne peuvent pas zapper un après-midi durant d’une chaîne à l’autre ou jouer aux jeux vidéo toute la nuit ?
Il semblerait important d’analyser sa propre pratique avant toute chose. Si votre premier réflexe au réveil est de surfer sur les réseaux, que vous répondez à des appels pendant les repas et que vous avez du mal à décrocher de votre ordinateur le soir, il est primordial de vous demander si vous êtes touchés par la cyberaddiction et de questionner les répercussions que cela peut avoir sur la pratique numérique de votre enfant.
Qu’est-ce que la cyberaddiction et quels en sont les symptômes chez l’enfant ?
La cyberaddiction, ou cyberdépendance aux écrans, désigne un comportement répétitif et irrépressible dans le rapport d’un individu au monde informatique, accompagné d’effets néfastes pour la santé et le mental. Nous sommes tous susceptibles d’être touchés par cette dépendance, mais les adolescents y sont plus vulnérables.
Si vous remarquez que votre enfant délaisse toute activité – jouets classiques, sorties à l’extérieur, moments ludiques avec sa fratrie ou des amis -, il est possible que sa perte d’intérêt soit subordonnée à son envie de retourner derrière un écran. S’il perd toute notion du temps, une fois connecté, ou qu’il manifeste des sautes d’humeur très marquées – larmes, cris, chantage… – lorsqu’il en est privé, il peut être utile de s’alerter.
Les symptômes sont nombreux et vont des manifestations du manque, comme l’anxiété, la frustration, le mensonge et le déni, aux troubles physiques, comme la fatigue chronique, les maux de tête, la sécheresse oculaire ou les problèmes de concentration.
Ces symptômes peuvent progressivement prendre le dessus et déséquilibrer totalement la vie de l’enfant ou l’adolescent. Cela peut mener à des retards de langage ou d’apprentissage, au décrochage scolaire, à l’isolement social et même à la dépression.
Que faire en tant que parent ?
Différentes solutions s’offrent à vous si vous craignez que votre enfant ne passe trop de temps devant un écran ou que vous soupçonnez une cyberaddiction.
Tout d’abord, donner le bon exemple est indispensable car l’apprentissage par imitation impacte fortement les enfants. Il s’agit là d’un enjeu clé. La parentalité à l’ère du numérique est mise à l’épreuve car le parent est responsable de sa consommation personnelle de réseaux sociaux ou de télévision, qui peut devenir un standard à la maison.
Ensuite, valoriser les activités alternatives à l’écran peut être un moyen progressif de se désintoxiquer : partir en excursion en famille, organiser une séance de sport avec des amis, faire des jeux de société… Négociez ensemble des moments de connexion, instaurez des traditions familiales (pas de télévision pendant les repas, pas de téléphone en promenade…) et discutez autant que possible. Pour protéger votre enfant des contenus inappropriés et vous rassurer, vous pouvez aussi installer un logiciel de contrôle parental. Cependant, il peut être plus constructif de discuter avec l’enfant ou l’adolescent et de le responsabiliser. Le plus important est de ne pas perdre le lien.
Découvrez également les avantages à écouter une histoire sans écran pour les enfants.
Il s’agit là d’un principe de la parentalité positive qui consiste à trouver un équilibre entre les parents et les enfants. Le parent n’est pas dépossédé de son autorité mais un espace de discussion permet de poser des limites, d’exprimer ses émotions et d’évoluer de manière positive et constructive. Cela veut-il dire qu’il ne faut plus punir un enfant ? Non, si votre enfant agit de manière violente envers son frère ou sa sœur ou vous manque de respect, il est important de marquer votre désaccord. Cependant, la punition doit cibler le caractère négatif de l’acte et non l’enfant lui-même, notamment à travers une réflexion sur le comportement. De la même façon, il est déconseillé de fonctionner avec un tableau de récompenses, en cas de comportements positifs. Ces derniers doivent être uniquement motivés par le plaisir engendré par ce ressenti.
Et si rien ne fonctionne ?
Si vous vous sentez démunis en tant que parents, sachez que des addictologues proposent un accompagnement thérapeutique de la dépendance.
Le traitement de celle-ci se fait en deux étapes. Il faut, tout d’abord, poser un diagnostic pour comprendre où s’enracine le rapport problématique avec les écrans. Parfois, il est nécessaire de traiter la source de manière parallèle, s’il s’agit de harcèlement scolaire, de mal-être familial, de troubles alimentaires…
Dans tous les cas, la discussion se fera en toute sincérité, sans culpabilisation de la part du thérapeute qui aura pour objectif d’expliquer rationnellement les effets néfastes d’une consommation digitale excessive et mal positionnée. Il sera également indiqué de faire participer les parents à la thérapie, de façon à diriger toute la famille vers de meilleures pratiques et des règles de vie et éviter des rechutes.
La seconde étape consiste à reconstruire la relation aux écrans, de manière non addictive. En effet, il n’est absolument pas nécessaire d’établir une privation totale et définitive. Le sevrage – comme pour une désintoxication à une substance – doit se faire progressivement, au moyen d’objectifs ponctuels. L’objectif est de retrouver un rapport sain au monde digital, de la même façon qu’une personne souffrant d’anorexie doit réapprivoiser la nourriture petit à petit.
Que conseillent les scientifiques ?
Le Haut Conseil de la santé publique français a proposé des recommandations, issues de recherches et études scientifiques, de façon à protéger au mieux les enfants.
Pour les enfants de moins de 3 ans, il est conseillé de bannir, purement et simplement, les écrans. Si vous voulez stimuler et développer l’éveil de votre bébé de deux mois ou si vous espérez compenser l’angoisse de séparation de votre enfant de deux ans, d’autres solutions existent. À cet âge-là, l’enfant doit développer ses repères, n’hésitez donc pas à jouer avec bébé, à l’occuper à l’aide de supports adaptés, à encourager votre tout petit à faire un dessin…
Avant 6 ans, de nombreux apprentissages entrent en jeu. Le jeune enfant va apprendre à lire, à développer son imagination, sa coordination, sa créativité… et ce sont des éléments essentiels qui ne doivent pas être court-circuités par les écrans. Il est donc recommandé de ne pas en introduire dans les chambres, de restreindre le temps de connexion au maximum, de l’éviter avant la nuit et aux moments des repas pour prévenir le développement de troubles alimentaires ou du sommeil. Il est également important de ne pas répondre à des situations négatives – douleur, tristesse, stress… – par le passage à l’écran. Il existe de nombreuses possibilités de gestion de ces émotions, comme par exemple le yoga pour enfants. Des postures sont adaptées pour les petits et permettent un recentrage des émotions, à travers une pratique ludique, apaisante et saine.
Avant 9 ans, il est conseillé d’accompagner votre enfant lorsqu’il est sur internet pour lui en faire comprendre les règles, les bénéfices et les dangers. De plus, l’instauration de créneaux horaires bien distincts est utile pour éviter les débordements. Ensuite, après 12 ans, il est possible de prudemment et progressivement laisser le pré-adolescent surfer seul sur le web. Cependant, soyez le plus transparent possible avec lui et ne lui cachez pas l’existence du cyberharcèlement, du vol d’identité, des téléchargements illégaux et autres problématiques numériques.
Cette règle des 3-6-9-12 a été conseillée par le psychiatre Serge Tisseron pour baliser le rapport aux écrans, au fil de la croissance des enfants.
Le danger des écrans pour les enfants. Faut-il les diaboliser ?
Malgré les risques réels que peut engendrer la pratique numérique – du harcèlement à l’accès à la pornographie, en passant par la cyberdépendance –, il n’est pas nécessaire de transformer l’écran en ennemi numéro 1.
Les écrans peuvent également être vecteurs d’éléments positifs, notamment grâce à la multiplicité des logiciels et des moyens interactifs dont ils disposent, par exemple dans le domaine de l’enseignement. S’il y a quelques années, les salles informatiques étaient encore choses rares dans les écoles, les nouveaux outils pédagogiques révolutionnent nettement certaines facettes de l’éducation. Les enseignants saluent, entre autres, les apports de la gamification, qui permet un rapport ludique à l’apprentissage, l’allègement des cartables grâce à la numérisation des documents ou encore la facilitation de la communication entre les différents acteurs du milieu scolaire. Il est cependant essentiel pour les enseignants d’accompagner les élèves dans leur accès aux connaissances présentes sur internet : l’analyse des sources, le regard critique et la compréhension du plagiat sont des compétences nécessaires à acquérir.
La réalité virtuelle a également été soulignée dans l’accompagnement de certains enfants atteints d’autisme. Elle permet en effet de simuler toutes sortes de scénarios, ce qui offre à l’enfant l’opportunité d’apprivoiser une situation progressivement et d’en gérer les émotions. À l’inverse d’un écran qui peut isoler, elle permet d’encourager l’ouverture vers d’autres environnements et d’autres cadres sociaux. Ces expérimentations sont encore à leurs débuts mais les résultats semblent encourageants.
Le virtuel s’est également dressé comme la solution à la crise du coronavirus, en permettant à l’enseignement de se faire à distance, en offrant la possibilité du télétravail à un grand nombre de travailleurs mais aussi en luttant contre la solitude, en période de confinement.
En effet, un boom des applications et logiciels de sociabilisation a été observé. Les seniors ont également développé leurs compétences digitales pour pouvoir maintenir le contact avec leurs familles, notamment via Skype, Messenger ou WhatsApp. E-aperos, jeux de société virtuels entre amis et visioconférences avec les collègues sont devenus les nouveaux jalons du quotidien, avec tous les aspects positifs qu’ils comportent, à une période où la vie sociale souffre de contraintes.
Alors, pour ou contre les écrans ?
La conclusion n’est pas tranchée, elle doit bénéficier de nuances. En effet, les écrans peuvent apporter des bénéfices, comme le fait d’avoir accès à une source immense d’informations, de garder le contact avec des personnes habitant à des milliers de kilomètres, de développer des outils adaptés pour l’apprentissage, le travail ou le jeu…
Cependant, comme souvent, les écrans ne sont bénéfiques que s’ils sont employés avec modération et dans un contexte approprié. Leur utilisation mérite un encadrement et des limites, plus particulièrement en ce qui concerne les enfants et les adolescents qui vivent des périodes critiques de leur développement physique, cognitif et psychologique.
Le danger des écrans pour les enfants, la cyberaddiction peut sembler un concept exagérément inquiétant mais il est à prendre très au sérieux. Elle a d’ailleurs été reconnue par l’Organisation mondiale de la santé, en 2018, au rang d’addiction. En effet, de la même manière que le café, l’alcool, l’adrénaline ou la drogue, les écrans sont addictifs. Il est donc possible de développer des comportements graves de dépendance, pouvant nuire à la santé et mener à de sérieux dommages.
Il est donc de la responsabilité des adultes, et plus particulièrement des parents, de prendre garde aux effets causés par les écrans sur les enfants et les adolescents.
Comme le disait Albert Jacquard, « On peut apprendre à un ordinateur à dire : « Je t’aime », mais on ne peut pas lui apprendre à aimer ». Le digital est un outil incroyable mais il ne faut pas oublier de vivre…
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